Accompagner Sarthe lecture dans l'évaluation de son projet numérique - 4/4 - Ce que ça nous a appris sur les bibliothèques et sur nous
Nous vous avons raconté sur ce blog les différentes étapes de l’accompagnement de Sarthe lecture sur l’évaluation de leur projet numérique (épisode 1, épisode 2 et épisode 3). Ce dernier billet forme la conclusion de ce récit, autour de deux grandes questions : ce que ça nous a appris des bibliothèques dans leur rapport au numérique et ce que ça nous a appris sur nous, l’Etabli numérique.
Ce que ça nous a confirmé sur les bibliothèques
Les rencontres avec les bibliothécaires du réseau sarthois et les entretiens téléphoniques avec des bibliothécaires départementales nous ont confirmé certaines intuitions. Il existe bien entendu une grande hétérogénéité des bibliothécaires à leur rapport au numérique et un fort manque de légitimité pour bon nombre d’entre elles, mais nous avons perçu un certain nombre d’axes récurrents de réflexion que nous partageons ici.
Le rapport au temps ou l’importance de faire des choix
Une bibliothécaire du Lot nous a expliqué lors d’un entretien que pour réussir un projet numérique, il fallait « faire preuve d’humilité ». Derrière cette expression, elle expliquait l’importance de se fixer des objectifs raisonnables et atteignables et donc, par extension, de choisir où l’équipe mettait de l’énergie.
Alors que le numérique pousse à être tourné·es vers l’innovation et à s’éparpiller, il est primordial de faire des choix réfléchis et validés, dont la charge de travail est mesurée, de s’autoriser de ne pas être présent·es partout, voire d’arrêter certaines actions. Cela s’inscrit dans une réflexion plus globale de développement d’un projet soutenable à moyen et long-terme, notamment en ce qui concerne le temps dédié. Ce n’est pas toujours facile à évaluer, d’autant plus que certains dispositifs comme le label BNR soutiennent les dépenses d’investissement et non de fonctionnement.
Pour les bibliothèques départementales, la question du temps se joue aussi à l’échelle du réseau. Leur rôle de mutualisation permet aux bibliothécaires de « gagner du temps », par exemple par des formations qui permettent une mise en oeuvre concrète d’actions ou des malles thématiques disposant de tutoriels façilitant leur prise en main.
L’importance du collectif et de l’humain
Si le projet numérique de Sarthe lecture lancé en 2016 a atteint beaucoup de ses objectifs, c’est avant tout grâce à la constitution et à l’animation d’un vrai collectif et la connaissance fine des bibliothécaires départementales de leur réseau. Nous avons pu mesurer qu’il existe une vision du projet partagée par les différents acteurs du projet. Celle-ci, loin d’être automatique, est le reflet d’une véritable co-construction de Sarthe lecture qui a débuté le projet sans idées préconçue.
Il nous paraît évident que c’est aussi par cette dimension collective que les bibliothécaires peuvent gagner en légitimité vis à vis du numérique. C’est par l’animation du réseau qu’elles peuvent être dans une dynamique rassurante, qui rend visible ce qu’elles font et objectivent leurs actions (par exemple en permettant de comprendre les chiffres, parfois vus comme décevants, des ressources numériques). En outre, un encouragement à la formalisation des missions numériques dans les fiches de poste nous paraît aller dans le sens d’une meilleure visibilité et donc d’une légitimation des missions numériques des bibliothécaires.
Pour autant, il est impossible à notre sens d’avoir le même niveau de services pour toutes les bibliothèques dans des réseau souvent hétérogènes. La nécessaire réflexion sur un niveau différencié de services doit pour autant permettre à des petites bibliothèques de continuer à s’investir elles aussi sur le numérique.
La valeur ajoutée des bibliothèques
Avec le projet porté par Sarthe lecture depuis 2016, on peut affirmer de façon confiante que les bibliothèques sarthoises défendent une approche du numérique, notamment culturel, que les publics ne trouvent pas ailleurs. Elle s’appuie sur les forces des bibliothèques : la proximité, l’ouverture à tous·tes, un solide sens du service public et un maillage territorial.
Plusieurs visions de la médiation numérique de contenus en bibliothèque co-existent. Dans ces débats, nous défendons l’idée de ne pas dissocier cette question des enjeux politiques et économiques du numérique.
En tant que lieu de partage non-marchand, nous aimons l’idée défendue par Lionel Maurel de faire des bibliothèques des « maisons des Communs » :
Or si une bibliothèque n’est pas un commun du savoir, elle doit être le garant que ces communs-là puissent continuer d’exister. C’est donc un choix de politique publique qui doit être affirmé.
Des questions en suspens
Au cours de nos entretiens, trois questions sont revenues régulièrement :
- La loi Robert a remis l’illectronisme au centre des enjeux des bibliothèques. Or, beaucoup de bibliothécaires renvoient désormais tout ce qui concerne ces problématiques aux conseillers numériques.
- La place des bénévoles dans le projet numérique
- Les besoins du public (ou plutôt des publics) perçus comme flous : Des outils comme l’indice de fragilité numérique ou le baromètre du numérique peuvent-ils aider ? Une démarche comme https://portrea.fr/ peut-elle être intéressante ? Est-ce que la distinction entre usages numériques et usages non-numériques est encore pertinente pour les publics plus jeunes ?
Ce que l’Etabli numérique a appris sur l’Etabli numérique
C’était la première fois que nous réalisions en tant qu’Etabli numérique ce type d’accompagnement. Nous avons beaucoup aimé le faire, notamment parce qu’il nous a permis de travailler sur un temps plus long que sur nos interventions habituelles, où nous sommes présent⋅es de façon plus ponctuelle.
Cela a été l’occasion pour nous deux de travailler ensemble tout au long de l’accompagnement, ce qui ne nous arrive pas si souvent. En effet, même si nous créons nos contenus en binôme, nous intervenons souvent seul·es, surtout en formation. C’était donc très agréable pour nous, et cela apportait une vraie richesse dans notre analyse. D’un côté, Julie, ancienne bibliothécaire, partageait avec les professionnel·les et bénévoles rencontré·es une culture et une expérience commune, tandis que Romain apportait un regard extérieur empreint d’étonnement.
Nous avions prévu au départ de faire les entretiens par téléphone ou par visio et avons finalement décidé avec Sarthe lecture de faire ces rencontres in situ. Avec le recul, c’était le bon choix. En effet, cela nous a permis de percevoir des éléments qui nous auraient échappés avec une simple conversation téléphonique.
Le projet s’est aussi très bien déroulé pour nous, parce que nous avons eu une vraie relation de confiance avec l’équipe de Sarthe lecture. Cette dernière était très à l’écoute, prête à se faire bousculer et attentive à ce que ça passe bien pour nous. Nous avons, tout au long du projet, avancé en marchant et c’était vraiment très agréable.
Maintenant que cette mission est terminée, nous savons aussi mieux évaluer le temps nécessaire et, par extension, combien il est juste de facturer un tel accompagnement. Nous avons fait un calcul a posteriori : cet accompagnement nous a fait travailler une quarantaine de jours, dont plus de la moitié sur l’état des lieux (entretiens, visites des bibliothèques, création et dépouillement des questionnaires, écriture de la synthèse). Le reste du temps est réparti entre les réunions de suivi, l’administratif, la documentation, la rédaction des autres livrables, la préparation et la co-animation de la journée du 2 mars…
Vous l’aurez compris, on aimerait beaucoup refaire ce genre d’accompagnement, donc n’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en discuter avec nous !