Accompagner Sarthe lecture dans l'évaluation de son projet numérique - 3/4 - Recueillir des initiatives inspirantes
Dans le cadre de l’accompagnement de Sarthe lecture et en complément de l’état des lieux des bibliothèques sarthoises, nous avons produit un recueil d’initiatives portées par des bibliothèques départementales en matière de numérique qui pouvaient inspirer Sarthe lecture dans la rédaction de leur futur projet.
Nous avons consulté une cinquantaine de sites de bibliothèques départementales, en se focalisant sur les bibliothèques labellisées BNR (bibliothèques numériques de référence), mais aussi celles qui nous avaient été recommandées ou que nous connaissions. Nous avons axé notre recherche sur des points saillants de l’état des lieux des bibliothèques sarthoises, à savoir :
- L’accompagnement d’un réseau de bibliothèques hétérogènes
- La formation des bibliothécaires, avec là encore une problématique d’hétérogénéité des publics, allant de bibliothécaires qui ne maîtrisent pas les bases à des personnes plus expérimentées.
- Comment faire collectif autour du numérique
- Les ressources numériques, et notamment le livre numérique
- L’organisation d’actions culturelles dans les bibliothèques : prêt et prise en main de « valises », mise en lien avec des partenaires, mais aussi festival numérique à l’échelle départementale.
Nous avons sélectionné une petite vingtaine de bibliothèques départementales pour des entretiens téléphoniques qui ont duré entre 20 et 40 minutes, en décembre 2022 et janvier 2023. Au vu de la période chargée pour les bibliothécaires (clôture budgétaire et bien souvent une seule personne référente du numérique), nous n’avons pas réussi à obtenir un rendez-vous avec toutes les bibliothèques, mais avons pu échanger de vive voix avec 17 bibliothécaires départementales de 15 structures différentes.
Retrouvez ci-dessous une synthèse des différentes initiatives, calssées par grands thèmes :
- La place de l’inclusion numérique
- Faire collectif
- La formation
- Le livre numérique
- Les outils d’animation
- L’action culturelle en itinérance
- Les festivals numériques départementaux
La place de l’inclusion numérique
L’inclusion numérique est “un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu et à lui transmettre les compétences numériques qui pourraient être un levier de son inclusion sociale et économique” selon Brigitte Bouquet et Marcel Jaeger. Cela recouvre des réalités concrètes différentes dans les bibliothèques : ateliers, accès à Internet, au matériel, mais aussi ressources culturelles ou informationnelles en ligne en sont quelques exemples.
Le dispositif des conseillers numériques a, partout, changé la donne. Les bibliothécaires peuvent ainsi plus facilement réorienter les demandes d’accompagnement, par exemple aux démarches administratives, vers ces nouveaux professionnel·les et vers les Maisons France Service. Pour autant, Les bibliothèques ne peuvent pas complètement se désintéresser des questions liées à l’illectronisme, puisque la loi Robert sur les bibliothèques territoriales inscrit la réduction de l’illettrisme et de l’illectronisme dans leurs missions (cf. le Mode d’emploi de l’ABF).
C’est donc dans cet équilibre complexe que les bibliothèques départementales ont choisi des orientations diverses suivant les besoins de leurs territoires. Nous en proposons deux exemples : celui de La Manche, qui propose un seuil minimal aux bibliothèques du réseau (informatisation, accès à Internet sécurisé pour le public et connaissance des acteurs du territoire) et celui du Lot, qui a construit son projet BNR autour du numérique culturel. Enfin, comme l’inclusion concerne aussi les personnes handicapées, nous avons recherché des bibliothèques départementales ayant réfléchi à la question de l’accessibilité numérique.
Développer le numérique culturel (Lot)
En-tête du projet numérique 2022-2024 lotois
En amont de la rédaction du projet BNR, la bibliothèque départementale du Lot a procédé à une enquête auprès de son réseau, pour en connaître les besoins en matière de numérique. Les résultats ont été très clairs : les bibliothèques du réseau n’attendent pas la bibliothèque départementale sur un axe d’inclusion numérique, le département bénéficiant d’un maillage dense d’EPN et d’acteurs de la médiation numérique, mais plutôt des outils d’action culturelle clé en main et de la formation, en matière de numérique culturel.
Le projet numérique se décline en :
- un objectif stratégique, « Contribuer à l’appropriation du numérique par les Lotois par le renforcement des compétences et le développement des actions des bibliothèques sur les usages culturels du numérique. »
- quatre objectifs opérationnels, autour de la formation, du matériel, d’une offre « clé en main » et de la dynamisation du numérique culturel.
- Treize actions sur trois ans.
Nous reviendrons plus tard sur deux axes de ce projet en particulier : le livre numérique et la formation.
Une inclusion numérique en trois niveaux (Manche)
Extrait du Schéma départemental de développement de la lecture publique 2020-2025 de la BD de la Manche
Depuis 2020, le schéma de développement de la lecture publique a fait de l’inclusion numérique un axe de développement. Ainsi, la bibliothèque départementale a établi 3 niveaux d’accompagnement au numérique possibles dans les bibliothèques :
- Niveau 1 : au minimum, la bibliothèque propose un accès internet sécurisé et sait orienter les usagers vers les acteurs locaux de l’accompagnement au numérique (espaces publics numériques, espaces France Services, etc.).
- Niveau 2 : la bibliothèque accueille des ateliers numériques ou des permanences dans ses murs, animés par un partenaire extérieur.
- Niveau 3 : la bibliothèque propose et anime régulièrement des ateliers numériques.
Le niveau 1 établit donc un seuil minimal : toutes les bibliothèques doivent être informatisées, doivent proposer un accès à internet sécurisé et connaitre les actions du territoire pour orienter le public. Cela s’inscrit dans les conventions de partenariats, remises à jour en 2020 : les collectivités ont 5 ans pour atteindre ce niveau minimal de fonctionnement.
Pour accompagner les bibliothèques, la bibliothèque départementale propose :
- Une fiche pratique « Proposer un accès Internet sécurisé au public »
- Un modèle de charte d’utilisation d’Internet
Ce dispositif est largement aidé par la présence d’un conseiller numérique depuis 18 mois au sein de la médiathèque départementale de la Manche. Il intervient sur une double mission : il forme les bibliothécaires, mais intervient aussi auprès du public, dans une quinzaine de bibliothèques situées en zone blanche, une fois par mois. Ce poste est un vrai levier, d’autant plus que le conseiller numérique a un profil très adapté pour les bibliothèques. La spécificité de son poste (agent départemental, au contact du public) fait qu’il peut faire le relais des politiques départementales auprès des usager·es.
L’accessibilité numérique (Jura, Nord)
L’accessibilité numérique permet aux personnes handicapées d’utiliser des outils numériques, des logiciels et de pouvoir consulter des ressources en ligne. Outre l’obligation légale d’accessibilité qui est faite aux personnes morales de droit public, une structure qui souhaite développer une véritable politique d’inclusion numérique ne peut mettre de côté les personnes en situation de handicap. A ce titre, nous avons pu observer que certaines bibliothèques départementales font preuve de volontarisme en la matière, en voici deux exemples.
La bibliothèque départementale du Jura a été labellisée BNR en 2017, notamment sur une dimension d’accessibilité. La bibliothèque départementale défendait déjà un axe fort autour du handicap (collections accessibles, formations). L’accessibilité étant un tout, il était cohérent de réfléchir à la mise en accessibilité des deux sites de la bibliothèque, à l’occasion de leur refonte : le portail et JUMEL (ressources numériques).
L’équipe n’a pas été accompagnée sur le sujet, aussi elle s’est formée sur le sujet et a fait au mieux, par exemple en utilisant la police Opendys, en utilisant correctement les styles lors de la rédaction de contenus… Mais a été confronté aux contraintes des outils (notamment l’accessibilité des ressources numériques sur lesquelles elle n’a pas la main) et à l’équilibre difficile à trouver entre un site accessible et un site attractif.
La médiathèque départementale du Nord a été labellisée BNR en 2021 et a axé son projet autour de l’accessibilité, en y incluant l’accessibilité numérique. Le projet précise ainsi que « l’accessibilité est un critère impératif : il sera examiné via le référentiel général d’accessibilité pour les administrations (RGAA) et la réalisation d’un audit par un prestataire indépendant suivi de préconisations. » L’audit RGAA du portail web est budgétisé à hauteur de 9240 €.
Faire collectif autour du numérique
Le numérique est transversal, les bibliothèques départementales sont confrontées aux difficultés de faire réseau autour de cette thématique, en embarquant y compris des bibliothécaires qui ne sont pas forcément à l’aise avec le sujet. Trois initiatives nous paraissent particulièrement intéressante sur ce sujet : une formation de création de contenus sur des portails similaires, les rendez-vous numériques organisés en Loire-Atlantique et le comité applithécaires en Ille-et-Vilaine.
Une formation autour de la communication numérique (Lozère)
Esxtrait du programme de formation 2023 de la médiathèque départementale de Lozère
La médiathèque départementale de la Lozère a proposé une journée de formation collective à plusieurs bibliothèques ayant des sites similaires. L’objectif est double. Cette formation concrète permet à chacun·e de créer des contenus et de les organiser, mais c’est aussi l’occasion pour les participant·es d’apprendre à se connaître et de développer l’entraide, plutôt que devoir systématiquement passer par la référente numérique de la bibliothèque départementale.
Les réunions du groupe numérique (Loire-Atlantique)
Les « réunions du groupe numérique » existent depuis plus de sept ans et ont lieu deux fois par an (auparavant trois fois). Elles se veulent avant tout un lieu d’échanges de pratiques et d’interconnaissance et « ne sont pas du tout réservées aux expert·es du numérique », comme le précise le programme de formation de la BDLA.
Elles réunissent en général une vingtaine de personnes, mais la participation est montée jusqu’à une cinquantaine de bibliothécaires. Il y a un noyau dur de 5-6 personnes, mais la participant·es varient au gré de la thématique et comprennent effectivement des bibliothécaires qui n’ont pas forcément d’usages numériques très développés, mais qui sont poussé·es par l’envie et la curiosité. La thématique est choisie d’une fois sur l’autre, en fonction de l’actualité ou des attentes du réseau. Ainsi ont été abordés : les réseaux sociaux, PNB, les fablabs…
En amont, le bibliothécaire en charge de ces réunions demande si des bibliothèques veulent partager des actualités (par exemple : les enceintes Merlin et les boîtes à histoire Lunii). Les réunions durent une demi-journée et il est prévu une très grande pause café, pour favoriser l’interconnaissance et les discussions informelles.
Le comité d’applithécaire (Ille-et-Vilaine)
Infographie récapitulant les services numériques proposés par la MDIV
Le comité applithécaire (distinct du comité « jeux vidéo » car il ne concerne pas les mêmes bibliothèques) existe depuis plusieurs années et est animé par deux bibliothécaires, Julie Lefranc et Delphine Malet, ayant chacune à la fois une casquette de référente de territoire et une casquette numérique. Il a lieu tous les six mois et dure trois heures, en suivant trois temps :
- 1er temps : présentation d’une sélection en lien avec une thématique choisie par les bibliothécaires, de la veille faite par les bibliothécaires départementales, et d’au moins deux fiches d’animation en lien avec des applications.
- 2ème temps : des échanges libres (en ayant préparé quelques questions en amont pour alimenter la discussion).
- 3ème temps : en simultané, différents ateliers animés par les bibliothécaires départementales (et parfois des intervenant·es extérieur·es), un office avec une sélection d’ouvrages à réalité augmentée.
Une vingtaine de professionnel·les participent (rares sont les bénévoles), avec là aussi un noyau dur, mais des personnes différentes à chaque fois. Il n’est pas toujours facile de faire en sorte que la thématique vienne des bibliothécaires du réseau. La prochain comité aura lieu en avril 2023 et aura pour thématique l’accessibilité.
On retrouve sur le site de la MDIV, toutes les ressources concernant les tablettes : fiches d’animations, sélections, etc.
La formation au numérique
Lors de nos échanges avec les bibliothécaires départementales, nous avons relevé une certaine constance dans les difficultés à former le réseau au numérique. Elles semblent avoir de plus en plus de mal à « faire le plein », surtout sur les formations vues comme trop théoriques. Il y a également une augmentation des désistements de dernière minute depuis 2020. Aussi, il existe une véritable volonté d’expérimentation, poussée par la situation sanitaire qui a obligé à tester la formation à distance. Les bibliothécaires testent ainsi des formes plus courtes et plus concrètes, nous en citons quelques exemples ci-dessous. Nous nous sommes également intéressé·es à comment les programmes de formations des bibliothèques départementales incluaient un programme d’inclusion numérique à destination des bibliothécaires, pour permettre à ces dernières d’acquérir des compétences de base en informatique.
Des formations courtes et concrètes (Lot, Touraine)
Alors que les formations proposées par la bibliothèque départementale du Lot se désertent, une des actions du projet numérique (cf. plus haut) est la mise en place des ID’Bib, ateliers courts et concrets de 2h30, inspirés des « Open’bib » de la bibliothèque départementale de l’Ain. Les ID’Bib abordent aussi bien l’usage de la tablette, l’utilisation du portail de la BDL que la lecture numérique, en lien avec la promotion de PNB.
Le département d’Indre et Loire a lancé fin 2022 un nouveau format dans son catalogue de formation : les forma’flash. Ce sont des webinaires thématiques, chaque premier mardi du mois à 10h. Ils traitent de sujets variés (numériques ou non) et sont disponibles en replays sur le site. La Médiathèque départementale de l’Essonne, quant à elle, réfléchit à un système de workshop, un temps d’échanges et de bidouillage autour de sujet concrets décidés collégialement.
La formation aux bases de l’informatique (Lot et Lozère) :
Capture d’écran du site de la bibliothèque départementale du Lot
Toutes les bibliothèques départementales qui proposent des formations de base au numérique pour les bibliothécaires communiquent avant tout sur l’intérêt personnel qu’auront les personnes à participer à ce type de formation.
La bibliothèque du Lot a ajouté une journée de formation sur le numérique à sa formation de base en réalisant que toutes les bénévoles présentes avaient une tablette. La bibliothèque a donc proposé à un des conseillers numériques du département de venir animer un ID’bib adapté à ce besoin.
La bibliothèque départementale de la Lozère propose aussi des formations de base sur l’informatique, dans le cadre de sa labellisation BNR. Un besoin important de formation des bénévoles à l’informatique de base était établi : le réseau des bibliothécaires Lozérien·nes est à 90 % bénévole et le numérique de base est indispensable dans les interactions avec la BD (pour télécharger un pdf, envoyer un mail…). La bibliothèque départementale a demandé au service informatique du département qui comprend des formateurs pour les agent·es du département. C’est avec un de ces formateurs que la formation s’est construite. Pour convaincre les bibliothécaires de venir à ces formations, il faut du temps, en reparler à chaque occasion, notamment au cours de la formation de base qui comprend en Lozère un jour dédié au portail et au RGPD.
Le livre numérique
Le constat est partagé dans toutes les bibliothèques départementales : la médiation des ressources numériques reste compliquée et concerne un public restreint. Pour autant, les bibliothèques départementales avec lesquelles nous avons discuté ne se voient pas ne pas en proposer, ne serait-ce que pour mutualiser les coûts. Nous avons aussi rencontré quelques bibliothécaires enthousiastes.
Nous avons axé nos recherches sur le livre numérique et avons trouvé plusieurs initiatives intéressantes : un projet ambitieux autour de la lecture numérique proposé par la bibliothèque du Lot, la bibliothèques numérique des collègien·nes (Essonne) et une offre jeunesse destinée aux lecteurs DYS (Lozère).
Nous avons aussi cherché des initiatives autour du Webtoon, nous n’avons trouvé qu’un exemple de sélection thématique proposée par la médiathèque des Landes et une mention dans le padlet de ressources de la bibliothèque de la Vendée.
Concernant les ressources numériques de livre audio, les retours sont plus que mitigés concernant la qualité des offres existantes.
La lecture numérique (Lot)
La médiathèque départementale du Lot propose PNB (Prêt numérique en bibliothèque), parmi ses ressources numériques et développe un projet ambitieux autour de la lecture numérique. Les chiffres sont « bons », selon la bibliothécaire Emilie Vallon, avec en 2022 plus de 2900 transactions et 250-300 abonnés actifs. Cela reste « une niche », puisque 12 % des abonnés aux ressources numériques utilisent le livre numérique, mais ce sont beaucoup de grand·es lecteur·ices. Le budget annuel alloué à PNB est de 12000 €. Des commandes incluant des pré-commandes sont passées toutes les semaines, afin d’avoir les livres-phares le lendemain de leur sortie. Les bibliothécaires ont analysé ce que les usager·es de PNB téléchargeaient, adaptant ainsi les commandes aux goûts des utilisateur·ices.. Parmis les facteurs de réussite est mentionné également le fait d’avoir la main sur la plateforme : toutes les semaines, des sélections thématiques sont mises en avant sur le site. Le point noir principal est lié aux contraintes techniques. Les usager·es qui utilisent l’application Baobab (smartphones, tablettes et liseuses LCP) fonctionne bien, néanmoins la hot-line portée par les bibliothécaires reste chronophage. En 2023, la bibliothèque départementale va développer un club de lecture numérique, avec un prix de lecteur·ices lié et proposer un ID’Bib sur la lecture numérique.
Bibliocollège (Essonne)
Bibliocollège a été créée en 2018 et se destine aux collégien·nes des établissements publics de l’Essonne. Cette plateforme est interconnectée avec l’ENT des collèges et propose 10000 ouvrages pour cette tranche d’âge, avec notamment beaucoup de mangas. C’est une offre de lecture tournée vers le loisir, qui vient en complémentarité de l’Education nationale et aux bibliothèques de lecture publique des territoires. L’extension aux collèges privés et aux lycées est en projet.
Une offre de livres jeunesse accessible aux publics empêchés : bibliodyssée (Lozère)
Les retours étant plutôt mitigés sur les ressources numériques proposées et notamment sur les ressources jeunesse, nous avons pris l’habitude de demander aux bibliothécaires interrogées si elles avaient des ressources numériques dont elles étaient particulièrement satisfaisantes. Lucile Rivaux, de la médiathèque départementale de la Lozère, nous a fait un retour positif de Bibliodyssée. Cette offre de livre en streaming propose un catalogue d’une centaine de titres jeunesse accessibles aux publics empêchés (dys, allophones, petits lecteurs…). Le format FROG permet d’avoir accès à des outils d’aide à la lecture (changement de police, lecture orale, segmentation des phonèmes ou des syllabes…). Le catalogue reste restreint, la lecture en streaming n’est pas adaptée pour les personnes n’ayant pas accès à Internet, mais cette offre est intéressante, notamment pour sensibiliser des bibliothécaires qui pourront être réticentes à proposer des ressources numériques jeunesse, mais intéressées par une offre destinée à un public en situation de handicap.
Les outils et dispositifs
Le prêt de valises ou malles numériques est un service généralement proposé par les bibliothèques départementales. Il permet ainsi de pouvoir prêter des consoles de jeu, des tablettes, des robots programmables, etc. Les bibliothèques départementales proposent des modalités de prise en main qui peuvent varier (formations à la demande, co-animation, présentation du matériel sur place…). Un grand nombre de bibliothécaires nous ont évoqué la difficulté de réussir à rendre autonomes les bibliothécaires du réseau sur ce matériel, qui nécessite généralement un temps important d’accompagnement. Certaines bibliothécaires départementales se retrouvent à « faire à la place de » dans certains cas. A contrario, les bibliothécaires départementales d’Ille-et-Vilaine ont, par rapport à ce qu’elles imaginaient, eu peu de demandes d’accompagnement : les bibliothèques du réseau s’appuient sur l’important travail de documentation qui a été fait pour proposer, le plus possible, du « clé en main ». Ainsi, sur la valise bidouille, sont notamment proposées une vidéo descriptive ainsi que plusieurs fiches animations. Les réflexions en cours des bibliothécaires départementales tournent beaucoup autour du lien entre le prêt d’outils d’animation et les besoins d’un territoire, en favorisant le prêt sur projet pour aller « au-delà du simple prêt ». Nous avons sélectionné quatre propositions qui, selon nous, montrent plusieurs approches différentes et sortent de l’ordinaire.
Un fab lab mobile en résidence (Fabulab 91 - Essonne)
Pour porter ce projet ambitieux autour de la fabrication numérique, la médiathèque départementale de l’Essonne a revu son organigramme en 2018 en créant un secteur « numérique et innovations », comprenant une équipe n’ayant pas que des missions numériques et un médiateur fabrication numérique à 100 % sur le numérique. Pour autant, le recrutement n’a pas été aisé puisque ce poste implique des missions à la fois techniques, de médiation et logistiques (conduite d’un véhicule, transport des machines). La création du Fablab a bénéficié de deux accompagnements : une pour le matériel et une pour les modalités d’intervention. Le Fabulab repose sur un principe de résidence de 2-3 mois. Auparavant, la durée était plutôt d’un ou deux mois, mais il s’est révélé que c’était trop court : les premiers temps, le public découvre et ne commence des projets qu’au cours des deuxième ou troisième mois. Le samedi, le fabulab est ouvert au public, et pendant la semaine, des « projets satellites » avec des publics captifs sont organisés, ce qui permet de développer des partenariats avec des acteurs moins évidents pour les bibliothèques. Un binôme de bibliothécaires départementaux est présent : une personne technique (qui connaît bien les machines) et un « beau parleur » (pour présenter le fablab). Ce binôme accompagne le public, les équipes, les partenaires. Ce genre de résidence permet de développer de nouveaux partenariats (avec une attention à ne pas perdre « l’ADN bibliothèque »), du mouvement et un changement dans l’image de la bibliothèque. C’est une « belle aventure ». Aurélia Cointre Mazni nous a cependant alerté sur quelques limites du projet : les machines dehors peuvent s’abîmer, certaines sont particulièrement lourdes et encombrantes (par exemple la découpeuse vinyle) et il faudrait doubler les machines, voire les tripler, pour pouvoir les proposer dans les structures partenaires des projets satellites ou en dehors de la résidence.
Une valise de Réalité virtuelle pour les Seniors : escapad360 (Loir et Cher)
Escapad360 est une des malles proposées par la bibliothèque du Loir et Cher et « elle fonctionne extrêmement bien », selon François Garnier de la direction de la lecture publique 41. Cette création de la société Live-Out (22) est une proposition d’immersion en réalité virtuelle dans des paysages, lieux touristiques… au travers de films créés spécifiquement pour un public âgé. La malle elle-même est un bel objet, avec un écran de retour qui permet de voir ce que la personne portant le casque est en train d’observer. Elle n’est pas trop encombrante et coûte environ 5000 €. Il existe une autre version moins chère, mais qui ne dispose pas de l’écran de retour. La DLP 41 la prête notamment sur des projets EHPAD-bibliothèque. Elle fonctionne bien aussi pour des animations intergénérationnelles.
Escape game “traces numériques” créé par un agent de la bibliothèque d’Ille et Vilaine
Quand nous avons demandé à Delphine Malet de la MDIV si elle avait des actions dont elle était fière, elle nous a immédiatement parlé d’un escape game créé en interne autour des traces numériques en 2020. Il dure 1h30 (1h de jeu effectif) et se destine à un public ado-adulte à partir de 12 ans. Une vidéo de présentation est disponible ici.
Une œuvre d’art : le Mont Isère (Médiathèque départementale de l’Isère)
Pour la MDI, le numérique n’est pas constitué que de 0 et de 1, c’est aussi de la création et il n’est pas nécessaire d’être un·e pro de l’informatique pour se faire plaisir. Cette volonté de réenchanter le numérique est au centre du projet d’œuvre d’art numérique intitulée « le Mont Isère », dont la MDI espère qu’elle marque le début d’une collection. Une vidéo de présentation de la démarche est disponible ici. Le projet reposait sur la résidence d’une artiste, Pauline de Chalendar, dans une bibliothèque du territoire. Elle avait comme consignes de créer une œuvre avec les publics, qui devait porter sur l’Isère et être transportable, afin de pouvoir circuler dans les bibliothèques iséroises et susciter l’envie. Une vidéo de présentation de la démarche et de la restitution est disponible ici.
L’action culturelle en itinérance
Nous avons rencontré plusieurs exemples de bibliothèques départementales ayant conçu, parfois avec des partenaires extérieurs, parfois non, des ateliers numériques clé en main. Sont ainsi proposés aux bibliothèques du réseau, sous diverses formes, un catalogue d’ateliers. En voici trois exemples.
Les itinérances numériques (Lozère)
Programme des itinérances numériques de 2022
Dans le cadre de la labellisation BNR, la médiathèque départementale de Lozère propose un programme d’itinérances numériques avec Num’n coop, une association lozérienne (cf. le programme 2022). La médiathèque départementale conçoit des malles prêtée à Num’n Coop et cette dernière anime les ateliers. Dans un premier temps, ceux-ci sont plutôt destinés à un public jeunesse. En 2022, 34 ateliers différents ont eu lieu dans 19 lieux autour du stop-motion, du Makey makey, de la conception 3D, de la robotique, des hologrammes, de la musique numérique…
les ateliers numériques (Hautes-alpes)
Pour la 4ème année, la BD05 propose des ateliers numériques itinérants à son réseau, dans le cadre de sa labellisation BNR. Un catalogue de 4-5 intervenant·es a été constitué, avec plusieurs dizaines d’ateliers différents, autour de la parentalité numérique, de l’EMI, de la robotique, de Wikipédia… Ce projet est financé par le CDLI (contrat départemental lecture-itinérance) pour 2 x 3 ans. Christian Prunster, bibliothécaire de la BD05 en charge de ce projet démarche les bibliothèques pour les leur proposer. Quand un atelier est programmé, la BD05 prend en charge la mise en relation avec l’intervenant·e, l’affiche personnalisable, et envoie le bilan aux bibliothèques. De leur côté, les bibliothécaires qui accueillent l’atelier ont des obligations : il faut 6 personnes participantes au minimum, prendre des photos, faire remplir le bilan aux usager·es et remplir le bilan destiné aux bibliothèques. Au départ, la médiathèque départementale avait peur de ne pas pouvoir les remplir, mais cette inquiétude est complètement balayée aujourd’hui. Au moment de notre entretien, en décembre 2022, 41 ateliers sont déjà prévus en 2023 (pour 92 bibliothèques). Il est à noter que pendant le Covid-19, la BD05 a maintenu des ateliers à distance, ce qui a contribué à une forme de continuité dans le projet et provoqué une forme d’habitude.
En complément, Les valises numériques fonctionnent bien, elles sont régulièrement renouvelées et permettent à des bibliothèques ayant accueilli un atelier de pouvoir proposer d’autres animations du même type. Les bibliothécaires sont de plus en plus autonomes, même s’il n’y a que 34 ETP sur l’ensemble du réseau et peu de médiateur·ices numériques.
Des conseillers numériques pour animer des ateliers en bibliothèque (Aisne)
Le conseil départemental de l’Aisne a largement investi le dispositif des conseillers numériques. Ainsi, la bibliothèque départementale en a recruté 6 en 2021. Leur mission était de construire et animer des ateliers numériques dans des bibliothèques volontaires du réseau. Dans ce cadre, voici les actions qui ont été menées, ou sont en cours dans ce cadre :
- Cafés numériques à la médiathèque de Corbeny : 3 éditions sur des sujets à la demande des usager·es
- Création d’une exposition et d’un support sur les contes avec des élèves de CE2, CM1 et CM2 (deux classes) : diaporama, scanner et manipulation d’images, enregistrement audio – Bucy-le-Long
- Le merveilleux scientifique en littérature : cycle de travail avec une classe 6emes sur les ressources numériques (Gallica) et réalisation d’une exposition - bibliothèque de Corbeny (avril – mai)
- Activités ludiques estivales pour enfants et adultes : ateliers robotiques et de programmation, Canva, modélisation 3D, coloriage animé, informations sur les réseaux sociaux – Mons-en-Laonnois, Fontaine-les-Vervins, Bucy-le-Long
- Activité pixel art – 1 séance d’été à Sinceny
- Réalisation d’un parcours pédestre dans commune avec contenus multimédia via QR code avec une classe de CP/CE1 - Fontaine-les-Vervins
- Réalisation d’un album jeunesse “Le loup qui ne savait pas compter” avec les maternelles dans le cadre du concours LireDemain (Médaille de bronze) - Fontaine-les-Vervins
- Présentation des ressources numériques dans les bibs où il y a des ateliers et auprès d’autres acteurs de l’inclusion numérique.
Les bibliothécaires interrogé·es nous ont confirmé quelques points d’attention à prendre en compte dans la perspective de recrutements de conseillers numériques :
- importance du profil, entre médiation numérique et médiation culturelle
- prise en compte de la durée de la formation
- le manque de visibilité sur la durabilité du dispositif
Les festivals numériques départementaux
Plusieurs bibliothèques départementales proposent un festival annuel autour du numérique à l’échelle départementale. Les objectifs poursuivis sont souvent identiques : encourager les bibliothèques à proposer des ateliers numériques, parfois pour la première fois, tisser un réseau avec les acteurs du territoire, valoriser l’existant… Les modalités sont diverses, que ce soit sur la prise en charge budgétaire, l’axe choisi… En voici trois exemples.
Vagabondages (Loir et cher)
Vagabondages est un festival de création numérique porté par la direction de la lecture publique du Loir-et-Cher. Au départ, il était résolument orienté vers la création artistique. Ainsi, les premières années ont été organisés des ateliers avec des écrivains ou plasticiens qui ont bien marché, mais pour un public peu mixte. En parallèle, la demande des bibliothèques portait plus sur des ateliers numériques pour un large public.
Maintenant, Vagabondages est un mix de ces deux orientations (cf. le programme de 2022) : sont programmés des artistes ou créatifs autour du numérique sur des choses assez simple (par exemple, le light painting). En 2022, on retrouve pas mal de choses autour de la musique. La direction de la lecture publique définit l’axe de programmation, la prend en charge ainsi que le budget des intervenant·es (13000 €). Elle organise également un salon sous forme de journée complète dans une médiathèque, avec des associations locales. Cette année, par exemple, cela portait sur le numérique et le développement durable.
Une attention particulière est portée sur la répartition et l’équilibre sur l’ensemble du département, en faisant tourner les thématiques ou le type d’atelier d’une année sur l’autre.
Un tournoi départemental de jeu vidéo (Eure)
La bibliothèque départementale de l’Eure organise depuis déjà plusieurs années un festival numérique à l’échelle départementale, qui comprend un tournoi de jeu vidéo. Cette année, 10 bibliothèques y ont participé (5 auparavant). Le jeu est choisi de façon collective avec les bibliothèques participantes. Il y a des phases de qualification dans chacune de ces bibliothèques, puis les joueuses et joueurs qualifié·es participent à la finale qui a lieu dans une bibliothèque choisie à l’avance, le dernier jour de la manifestation.
Il est intéressant de noter que les bibliothèques participantes sont en majorité des bibliothèques n’ayant pas de service autour du numérique. Au début, le tournoi était porté par quelques bibliothèques motrices, mais depuis, ça a fait son chemin.
Cette année, les participant·es ont été majoritairement des garçons, ce qui correspond aussi au public des jeux choisis (League of Legend et Rocket League. Pour autant, les années précédentes ont été marquées par un public plus mixte, avec des tournois de Mario Kart ou Overcooked. En 2023, le tournoi aura lieu autour de Super Smash Bros.
Des lots sont offerts aux gagnant·es. La bibliothèque départementale en achète une partie et s’appuie sur du mécénat auprès des fournisseurs de jeu vidéo pour le reste. Elle a ainsi pu offrir des cartes cadeaux de Cultura et des fauteuils de gamer par Leclerc.
Quinzaine du numérique (Biblio.Gironde)
La Quinzaine du numérique organisée par Biblio-Gironde depuis 2019 s’inscrit dans la feuille de route numérique et a pour objectif de montrer que les bibliothèques peuvent faire des choses autour du numérique au même titre que des partenaires et avec les partenaires.
Elle se déroule toujours à la même période, à cheval sur une semaine en période scolaire et sur une semaine de vacances scolaires. L’idée de base est de donner de la visibilité aux bibliothèques dans leur dimension numérique. La communication à l’échelle départementale est donc fondamentale et montre que les bibliothèques sont des lieux où il se passe des événements autour du numérique, qu’elles soient de petite ou grande envergure. La communication est travaillée avec service communication du département, et comporte des affiches standard, une communication institutionnelle, des bannières et un logo pour les portails et réseaux sociaux. Il n’y a pas de programme papier, c’est une communication légère mais qui donne de la visibilité.
Pour y participer, les bibliothèques doivent proposer au moins deux événements, sur leur budget propre. Ils peuvent inclure des actions culturelles habituelles, mais doivent entrer dans la thématique, choisie par la bibliothèque départementale et qui change d’une année sur l’autre (l’environnement, l’art numérique…). Biblio Gironde met en place un processus pour les aider à programmer ces événements :
- des sélections de ressources spécifiques et du matériel en lien avec la thématique.
- Une cartographie des bibliothèques et des différent·es intervenant·es potentiel·les
- Une réunion en visio de « mode d’emploi de la quinzaine » qui présente les règles du jeu, le calendrier, le padlet avec toutes les ressources (cf. celui de 2022), incluant notamment des fiches ateliers avec devis.
- Une matinée de présentation des prestataires (très appréciée des bibliothécaires, mais aussi des prestataires)
- une journée de démonstration du matériel lié à la thématique
- Trois formations spécifiques orientées quinzaine du numérique, en lien avec matériel acquis.
La Quinzaine du numérique est décrite par les deux bibliothécaires départementales rencontrées comme un « événement fédérateur », qui permet aux bibliothécaires et autres acteurs de se connaître et e pouvoir s’entraider. Il permet de créer des communautés autour de la médiation numérique. La dimension partenariale fonctionne bien, puisque plusieurs intervenants se sont fait connaître auprès de Biblio-Gironde.
En plus de la Quinzaine du numérique, Biblio-Gironde propose des réunions 2 ou 3 fois par an, avec un groupe de bibliothécaires numériques comptant 30 bibliothèques parmi celles qui sont les plus dynamiques en la matière.
Remerciements
Un grand merci aux bibliothécaires départementales suivantes qui nous accordé de leur précieux temps : Anne Artemenko et Aurélie Frimaudau (Biblio.Gironde), Ludovic Garreau (Bibliothèque Départementale Dordogne-Périgord), Delphine Malet (Médiathèque départementale d’Ille-et-Vilaine), Sébastien Audierne et Céline Van Coppenolle (Bibliothèque départementale de l’Aisne), François Garnier (Bibliothèque départementale du Loir-et-Cher), Lucile Rivaux (Médiathèque départementale de Lozère), Christian Prunster (bibliothèque des Hautes-Alpes), Anne-Sophie Dallet (Médiathèque départementale de l’Eure), Adèle Hébert (bibliothèque départementale de la Manche), Alice Bernard (Lire en Touraine), Hélène Beczowski (bibliothèque départementale du Jura), Emilie Vallon (bibliothèque départementale du Lot), Tiphaine Rouvray (Médiathèque départementale du Nord), Aurélia Cointre Mazni (Médiathèque départementale de l’Essonne), Laurence Dupland (médiathèque départementale de l’Isère) et Quentin Chevillon (Bibliothèque départementale de Loire-Atlantique).
Suite de ce billet
Ce billet fait partie d’une série, pour lire le billet conclusif, c’est par ici !