Faiseuses du Web 2023 : forum ouvert, fish-bowl et crêpes !

publié le par Julie Revenir à la liste des articles

J’ai participé au festival Faiseuses du Web, événement organisé par Maïtané Lenoir, les 28 et 29 avril à Dinan. Nous étions une quinzaine de participant·es qui avons participé le matin à des débats thématiques et l’après-midi à un forum ouvert sur des termes variés. Ces discussions étaient vraiment très chouettes, je propose de revenir plus en détail ce que j’ai fait pendant ces deux jours.

bannière de Faiseuses du web, texte blanc sur fond bleu

Le fish-bowl

Au cours des deux matinées, j’ai découvert le “fish-bowl” ou “bocal à poissons”. Le groupe est assis en cercle, autour de quatre chaises disposées au centre. Les participant·es ne peuvent prendre la parole que quand iels sont sur une de ces chaises centrales, sachant qu’une des chaises doit toujours être vide. Cela crée des possibilité de discussion et de débat en petit groupe, voire en pair à pair, au milieu d’un grand groupe, avec une règle qui pousse à laisser la place quand une nouvelle personne souhaite prendre la parole et s’assoit sur la dernière chaise vide.

Sur l’ensemble du festival, quatre fish-bowls ont été organisés, à chaque fois sur un thème différent :

Pour lancer chaque discussion, une intervenante choisie par Maïtané avait dix minutes de parole souveraine. Chacune de ces personnes a eu à chaque fois une façon très différente de lancer la discussion : alors que Viciss de Hacking social nous a fait un synthétique état de l’art (passionnant !) sur la personnalité autoritaire, Maïtané a lancé plein de questions, Claire est partie de son vécu pour le mettre dans une perspective politique.

Mon intervention sur le numérique et services publics.

Maïtané m’avait demandé de lancer les discussions sur les services publics et le numérique, voici le texte que j’avais préparé pour l’occasion.

Je m’appelle Julie et je travaille pour une coopérative qui s’appelle l’Etabli numérique. Nous sommes une coopérative d’education populaire qui s’intéresse aux enjeux politiques du numérique. Avant ça, j’ai été bibliothécaire une quinzaine d’années. Aujourd’hui, on m’a donné 10 minutes pour vous parler du numérique et des services publics, et pour cela, je me suis demandée ce qu’on pourrait imaginer comme service public numérique idéal. En miroir, cette question permettra de pouvoir faire un état des lieux d’où on en est en 2023 en France.

Première chose : si j’imaginais un service public numérique idéal, il ne serait pas un passage obligé pour faire ses démarches en ligne, puisque même si le numérique rend les choses plus simples pour une partie de la population, pour une autre, ça se traduit par un véritable recul dans l’accès aux droits. On aurait maintenu de nombreux points d’accueils en physique (qui ne nécessitent pas de prendre rendez-vous en ligne), des standards téléphoniques qui permettent d’avoir au bout du fil un·e humain·e et pas un répondeur qui vous fait tourner en boucle et vous raccroche au nez. Ainsi, on pourrait avoir le choix pour faire sa démarche de façon autonome. La défenseure des droits a publié deux rapports très intéressants sur la dématérialisation des démarches administratives, en 2019 et en 2022 et cela fait partie des préconisations qu’elle défend.

Concrètement, l’obligation de passer par le numérique pour avoir accès aux droits impose plusieurs choses : avoir accès à du matériel, à une connexion de qualité suffisante et avoir suffisamment de compétences numériques pour pouvoir faire la démarche. En ce qui concerne ces compétences, on entend beaucoup parler d’illectronisme (le manque ou l’absence de compétences numériques) et toutes les études sur le sujet montrent que ce n’est pas marginal (“Une personne sur six n’utilise pas Internet, plus d’un usager sur trois manque de compétences numériques de base” selon l’INSEE en 2019) et que cela touche plus particulièrement des populations déjà fragilisées (plus de 70 ans, personnes aux plus faibles revenus ou plus faibles niveaux de diplômes). En d’autres termes, le numérique obligatoire dans l’accès aux droits renforce des inégalités préexistantes.

Dans le rapport du défenseur des droits de 2019, deux catégories de la population sont décrites comme complètement exclues : les personnes handicapées et les personnes en prison. En ce qui concerne la prison, je ne suis pas du tout experte du sujet et je me garderais bien de donner des préconisations sur le sujet (mais j’ai la sensation qu’interroger la prison elle-même plutôt que le numérique serait sans doute pertinent). En ce qui concerne les personnes handicapées, on pourrait imaginer un service public numérique à 100% accessible, c’est-à-dire par exemple utilisable par les personnes qui utilisent un lecteur d’écran. Julie Moynat, experte en accessibilité, a fait un audit et elle indique qu’en 2022, sur 201 démarches administratives, 2 sont totalement accessibles, alors que, rappelons-le, c’est une obligation légale.

On pourrait imaginer aussi dans cet idéal qu’il y aurait une vraie politique durable de la médiation numérique. On confie encore trop régulièrement ces missions à des services civiques (qui, rappelons-le ne sont pas des contrats de travail), sous prétexte que les jeunes sont à l’aise avec le numérique et que ça coûte pas cher, ou bien à des conseillers numériques, programme lancé suite au plan de relance, des contrats de deux ans financés par l’Etat à la hauteur du SMIC. La semaine dernière a été annoncé la nouvelle feuille de route du gouvernement sur l’inclusion numérique, intitulée “France numérique ensemble”. Je n’ai pas eu le temps de m’y pencher, mais j’espère que cette dimension est prise en compte et qu’on propose aussi de ne pas limiter l’accompagnement au numérique aux démarches administratives.

Enfin, on utiliserait l’innovation technique pour l’intérêt général, par exemple en créant des algorithmes qui permettent à des usager·es d’être au courant des prestations auxquelles iels peuvent prétendre et donc de limiter le non-recours. On pourrait même imaginer des sites avec les usager·es. Pour le moment, on a plutôt un algorithme utilisé par la CNAF qui permet de mettre une note aux dossiers des allocataires, mesurant le risque de fraude ou d’erreur. Plus la note est élevée, plus on pourra être facilement contrôlé·e. La quadrature du net s’en est inquiétée, notamment pour signaler que plus on est précaire, plus on peut avoir une note élevée.

En conclusion, on voit que le numérique, c’est politique ! Pour moi, le numérique est utilisé au profit d’une politique qui détruit peu à peu les services publics, qui remplace les notions de solidarité par de “l’assistanat” et du contrôle, un progrès technologique vu comme ineluctable déconnecté du progrès social ou encore qui une vision validiste du handicap.

Le forum ouvert

Pendant les deux après-midis de Faiseuses du web, nous avons fait un forum ouvert. J’avais déjà eu l’occasion de participer deux fois à des forums ouverts animés par La Dérivation et j’avais adoré ! J’aime le fait qu’on définisse ensemble le programme des discussions et que le rapport au temps et à la participation soit très souple. J’étais donc ravie à l’idée de participer à Faiseuses du web, en particulier à cause de la présence du forum ouvert et… Je n’ai pas été déçue !

Chaque début d’après-midi, nous avons, avec des discussions et des post-it sur un tableau, établi le programme ensemble. Puis, nous pouvions participer aux discussions qui nous faisaient envie, en butinant ou restant des heures à parler du même sujet. Pour ma part, j’ai écouté des personnes me parler de leur rapport au lieu où elles habitent ou d’où viennent leurs peudonymes, j’ai participé à des discussions sur les outils de gestion de conflits, sur la rémunération juste quand on est indépendant·e, sur le fait de se passer de smartphone ou bien des papotes sans thématique particulière… Ca m’a fait beaucoup de bien de prendre le temps de la discussion et j’ai fait plein de chouettes rencontres.

Vraiment, le forum ouvert, c’est vraiment super et je suis impatiente d’en refaire (ceci est un clin d’oeil appuyé à toutes les structures ou personnes qui en ont envie, on peut en discuter) !

Pour finir, un grand merci à Maïtané pour l’organisation et à toutes les personnes rencontrées à Dinan pour leur générosité.