Accompagner Sarthe lecture dans l'évaluation de son projet numérique - 2/4, l'état des lieux

publié le par L'Etabli numérique Revenir à la liste des articles

Comme nous l’expliquions dans le billet précédent, nous avons interrogé les bibliothécaires du groupe pilote numérique porté par Sarthe lecture et produit un état des lieux du numérique dans les bibliothèques sarthoises, que nous avons présenté en mars dernier aux bibliothécaires.

Voici la synthèse des éléments que nous avons exposés, au travers de trois grandes parties :

Les bibliothèques sarthoises et le numérique

exemple d’actions et de services numériques proposés par les bibliothèques, issus des questionnaires et des entretiens

Exemple d’actions et de services numériques proposés par les bibliothèques, issus des questionnaires et des entretiens

Un volontarisme important

Les bibliothécaires interrogées nous ont partagé un grand enthousiasme pour le numérique, au sein d’un service public qui s’adapte, qui lutte contre les inégalités, qui se met au goût du jour et attire un nouveau public… Contrairement à ce que nous imaginions, les discours les plus réfractaires (très marginaux) sont venus de professionnel·les très à l’aise avec le numérique, mais « qui en sont revenu·es ». Pour ces personnes, la polyvalence du métier de bibliothécaire, notamment créée par le développement du numérique, a rendu le métier « flou » et leur a fait perdre en expertise sur les collections. Elles préfèrent se recentrer sur ce qu’elles considèrent être le cœur du métier : les collections, et en particulier les livres.

Une légitimité encore à construire

A la question « qu’est ce que vous faites à la bibliothèque autour du numérique », on nous a régulièrement répondu « rien » ou « pas grand chose », alors que c’était manifestement faux. C’est comme si une partie des bibliothécaires, celles les moins expertes du numérique, n’osait pas valoriser cette partie de ses missions. Pourtant, elles font bien plus que ce qu’elles disent en matière de numérique, même si bien sûr il existe une grande hétérogénéité des bibliothèques et des publics.

Parfois, ce sont les élu·es qui freinent, voire bloquent par exemple l’accès aux formations numériques ou le développement de nouveaux services ou animations, car le numérique ne correspond pas, pour elles et eux, à l’image de la bibliothèque.

Un périmètre d’action à affiner

Affiche de promotion de la microfolie à la médiathèque La PAsserelle, Conerré

Affiche de promotion de la microfolie à la médiathèque La Passerelle, Conerré

La médiation culturelle est une évidence pour tous·tes les bibliothécaires rencontré·es. Le fait de proposer Mediabox (les ressources numériques de Sarthe lecture) ou une microfolie est, de façon assurée, dans le cœur du métier de bibliothécaire.

La connexion à Internet dans les bibliothèques n’est pas forcément vue comme centrale dans le métier de bibliothécaire, mais centrale dans le service public qu’est la bibliothèque, ouvert à un large public, avec des horaires d’ouverture généralement plus étendues que d’autres services publics du territoire.

Les jeux vidéo sont défendus par bon nombre des bibliothécaires interrogé·es comme un produit culturel qui connaît ses blockbusters et ses éditeurs indépendants. C’est aussi un moyen de capter un public d’ados et de pré-ados. Pour autant, une partie des bibliothécaires est plus sceptique, à la fois par méconnaissance et manque d’intérêt, mais aussi parce que c’est vu comme « une mode » qui manque de pérennité.

Les bibliothécaires rencontré·es ont, pour certaines, investi le champ de la culture numérique, par le biais de conférences ou d’ateliers de sensibilisation sur des sujets aussi variés que les fake-news ou la protection de la vie privée sur Internet, qui n’ont pas forcément rencontré leur public. Chez certain·es d’entre elles, cela paraît important que la bibliothèque sensibilise le public à des sujets d’actualité, dont le numérique.

Quand nous avons interrogé les bibliothécaires sur l’accompagnement aux démarches administratives, elles nous ont répondu que « ce n’est pas leur métier ». Le développement des Maisons France Service et le recrutement des conseillers numériques a complètement changé la physionomie territoriale de l’accompagnement aux démarches administratives. Les bibliothèques se recentrent sur un rôle de centre d’aiguillage, à renvoyer les demandes vers une autres structure ou un conseiller numérique faisant des permanences à la bibliothèque. C’est plutôt vécu comme un soulagement par les bibliothécaires.

Le manque de temps :

« On n’a pas le temps », est une phrase revenue très régulièrement lors de nos entretiens, associée à une forme de frustration de ne pas pouvoir faire plus. Ce facteur a un véritable impact sur les propositions des bibliothèques.

La numérique est vu comme particulièrement chronophage : l’accompagnement individuel nécessite une grande disponibilité, il faut se former, préparer un atelier… Les idées d’animations numériques en bibliothèque ne manquent pas, mais, comme l’explique un·e bibliothécaire, « on ne peut pas se former à tout ».

Un manque de visibilité sur les besoins des publics

Cette diversité des situations fait qu’il n’est pas évident de cerner les besoins d’accompagnement au numérique des publics des différentes bibliothèques. Lors de nos entretiens, cette difficulté de mesurer les attentes revient souvent : « les usager⋅es ne nous font pas de demandes », « ce n’est pas clair » ou « on ne sait pas »…

Cette diversité des besoins ressort aussi des questionnaires où les points communs ne sont pas, en première approche, simple à repérer.

L’impact du covid

L’impact du Covid sur les bibliothèques a été considérable : fermeture ou limitation des usages autorisés, baisse des usager·es, des bénévoles, reports et annulations des animations. Les périodes concernées par le Covid ne recoupent donc pas uniquement les périodes de confinement, ce sont bien les trois années 2020 - 2022 qui ont été affectées.

Dans ce contexte de crise sanitaire, comme ailleurs dans la société, le numérique a joué un rôle essentiel.

Les catalogues en ligne et les portails ont permis aux bibliothèques de continuer à fonctionner malgré tout. Le « click & collect » (ou bien souvent call and collect) a rapidement été approprié par les usager·es pour continuer à accéder aux ressources. Toutes les bibliothèques visitées (et l’essentiel des bibliothèques du réseau) proposent de la réservation en ligne, et le Covid a été un moment d’explosion des usages de ce système.

Comme nous l’a dit une bibliothécaire, c’est aussi un moment où « [Elle] s’est aperçue que les usager·es ne savaient pas se servir du portail ». Beaucoup de bibliothèques ont mis en place des systèmes d’accompagnement de leurs catalogues en ligne pour leurs lecteur·ices : tutos diffusés par l’intermédiaire de leur newsletter ou accompagnement téléphonique. Certaines ont choisi de permettre la réservation directement par téléphone pour faciliter les manipulations.

Les outils de communication externes n’ont, par ailleurs, pas servi qu’à diffuser des informations, mais ont été mobilisés pendant la période pour garder le lien avec les lecteur·ices en y proposant de la médiation de contenus.

Les bibliothèques ont aussi pu s’appuyer sur les ressources numérique de Mediabox pour poursuivre leur rôle de médiatrices culturelles pendant les confinements. Le département de la Sarthe a effectivement décidé pendant les deux périodes de confinement d’ouvrir les accès Mediabox à tous les habitant⋅es du département, ce qui est mentionné à plusieurs reprises pendant les entretiens, et manifestement très apprécié des bibliothécaires et des usager⋅es.

La mise en œuvre concrète

Médiabox

publication du 14/09/2022 sur la page Facebook de la bibliothèque de Mulsanne

publication du 14/09/2022 sur la page Facebook de la bibliothèque de Mulsanne

Pour les bibliothécaires, avoir Médiabox est tout à fait cohérent avec les missions d’une bibliothèque : cette plateforme offre aux usager·es un accès à des ressources culturelles et de loisirs. Mediabox est même vue comme « indispensable » dans des bibliothèques qui, par exemple, n’ont pas de fonds de films ou peu d’abonnements aux revues. Globalement, le niveau de satisfaction des bibliothécaires est correct, sauf pour la partie administration et quelques réserves sur les contenus.

Il y a également d’autres limites qui nous ont été remontées :

Les bibliothécaires aimeraient que l’ergonomie de Mediabox soit améliorée, le nombre de jetons augmenté et les ressources élargies aux livres numériques.

La bibliothèque de Noyen-sur-Sarthe a rematérialisé les films en proposant des fantômes de DVD correspondant à une sélection de nouveautés présentes sur Mediabox

La bibliothèque de Noyen-sur-Sarthe a rematérialisé les films en proposant des fantômes de DVD correspondant à une sélection de nouveautés présentes sur Mediabox

Communication externe et médiation en ligne

Le maintien du lien avec le public a été centrale lors des confinements multiples. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir que la communication numérique a pris de plus en plus d’importance dans les pratiques des bibliothèques. L’étendue de cette communication numérique peut varier, mais aucune bibliothèque du réseau de Sarthe Lecture ne s’en passe.

La première brique de communication numérique qui nous est mentionnée est le mail : mail de rappel, de réservation ou de diffusion des actualités de la bibliothèque (collections, animations). Beaucoup des bibliothèques du réseau sont également présentes sur les réseaux sociaux (Facebook et un peu Instagram). Les posts sur les réseaux reprennent les mêmes thématiques que ce qu’on a pu décrire pour le mail : agenda évènementiel, informations sur la bibliothèques, conseils lectures, coups de cœur, … On retrouve aussi des posts plus spontanés avec, par exemple, des photos des derniers livres reçus pour donner envie aux lecteur·ices.

L’usage de Facebook pose d’autres questions que celles posées par les mails. Il est parfois difficile de pouvoir effectuer une communication spécifique de la bibliothèque sur ce réseau, avec les services communication des tutelles qui demandent à valider les posts effectués ou même à centraliser la communication sur la page de la collectivité (et non de la bibliothèque). L’expérience peut être frustrante pour les bibliothécaires qui voient la communication destinée à leur public particulier se noyer dans les informations générales.

Les bibliothécaires ont aussi conscience que chaque réseau social s’adresse à un public spécifique, et qu’être présent uniquement sur Facebook est insatisfaisant, notamment pour toucher des publics plus jeunes. Mais multiplier les réseaux sociaux suppose de construire une vraie politique de communication multi-support, avec à la fois des contenus mutualisés entre les différents réseaux et des contenus plus ciblés, ce qui demande des compétences que toutes les équipes n’ont pas, et dans tous les cas un temps considérable.

Cette question du temps est la problématique centrale en ce qui concerne la communication externe des bibliothèques du réseau : communiquer est une mission identifiée comme indispensable et qui fait maintenant partie du quotidien des bibliothécaires, mais il est difficile de trouver le temps de s’y consacrer à la hauteur des enjeux. Ce développement de la communication numérique dans les bibliothèques n’a pas été accompagné par des postes supplémentaires ou du temps de travail fléché spécifiquement sur ces questions, il faut donc arbitrer entre la gestion quotidienne de la bibliothèque et les missions de communication. Cette question du temps est d’autant plus complexe que les équipes construisent leur stratégie de communication séparément, avec peu de mutualisation des pratiques, des ressources et des compétences jusqu’ici.

extrait d’une newsletter de la bibliothèque de Fillé-sur-Sarthe, novembre 2022

extrait d’une newsletter de la bibliothèque de Fillé-sur-Sarthe, novembre 2022

Les animations :

Les animations et évènements proposées par les bibliothèques accompagnées par Sarthe Lecture autour du numérique sur les quatre dernières années sont nombreuses et diverses. Entre autres ateliers on trouve :

Cette diversité des propositions témoigne d’une vraie volonté d’expérimenter et de proposer aux lecteur·ices une approche pertinente de la question numérique.

Si on peut constater cette ambition, on peut aussi constater que beaucoup de ces animations ont eu du mal à trouver leur public. Avec le recul que nous donne le fait d’avoir interrogé un échantillon représentatif de bibliothécaires sur le réseau, il est clair que les propositions d’animations autour du numérique ont du mal à prendre en général, indépendamment de la bonne volonté des équipes. Malgré ces difficultés de fréquentation, il est à noter que les retours des usager⋅es ayant participé à ces animations sont positifs.

Par ailleurs, on trouve une résistance de certain⋅es des usager⋅es à voir des animations numériques en général dans les bibliothèques. De nombreuses bibliothécaires soulignent l’envie de certain·es usager⋅es, notamment des familles, de ne pas voir trop d’activités impliquant des écrans à la bibliothèque. Il est difficile de mettre un pourcentage précis sur ces lecteur·ices qui n’ont pas envie d’utiliser des écrans en bibliothèque, mais il doit probablement être suffisamment grand pour être mentionné dans un grand nombre d’entretiens.

Quand on arrive sur le terrain des animations qui fonctionnent, deux thématiques ressortent : les animations de médiation de Mediabox au moment du lancement de la plateforme et les propositions autour du jeu vidéo (découverte de jeux indépendants, tournois de jeux vidéos, temps de jeu en famille, …). Les bibliothèques ayant réalisé ce type d’évènements décrivent régulièrement des listes d’attentes pleines, avec des évènements attirant 30 ou 40 personnes, souvent des jeunes et des adolescent⋅es, avec ou sans leurs parents.

Au-delà des évènements ponctuels, les jeux vidéo semblent fonctionner pour amener un public plus jeunes dans les bibliothèques. Dans les bibliothèques que nous avons visité, il est vite apparu que les bibliothèques proposant des consoles dans leurs locaux ont un public jeune plus présent et plus régulier.

programme de Login 2022

Beaucoup des bibliothèques du réseau participent ou ont participé au festival Login, animé par Sarthe Lecture autour du numérique depuis 2017. Le fait que les bibliothèques continuent à participer à ce temps fort depuis plusieurs années atteste de l’intérêt de proposer une programmation coordonnée autour du numérique sur une période donnée, de faire collectif sur la préparation, la mutualisation des propositions d’ateliers et la formation au matériel utilisé. Plus de 70% des bibliothèques ayant participé à Login et ayant répondu au questionnaire ont déclaré vouloir y participer à nouveau.

Par ailleurs, quand on leur demande « Qu’est-ce que vous aimeriez mettre en place comme animations numériques dans le futur ? », les réponses sont tout aussi variées que l’inventaire des actions passées : « initiation au casque VR », « ateliers autour de la photo numérique », « découvertes d’application » … Le répertoire des animations n’est pas encore clos, et l’envie de continuer à expérimenter des animations numériques est manifestement encore présente.

Login a permis à beaucoup de bibliothèques du réseau de mettre le pied à l’étrier sur les animations numériques. Comme le résumé une bibliothécaire « l’enjeu c’était d’inciter à programmer des ateliers liés au numérique ». Sachant que les bibliothèques ayant répondu au questionnaire sont 68 % à déclarer « avoir mis en place de nouvelles animations ou ateliers autour du numérique » sur la période, on peut penser que l’objectif est atteint.

Par contre, il est clair au vu des entretiens et des réponses aux questionnaires que le festival n’est pas identifié par les usager⋅es en tant que tel, et que la communication est faite au plus près du terrain par chaque bibliothèque autour des ateliers organisés spécifiquement sur son territoire.

L’accompagnement de Sarthe lecture

Il existe un consensus partagé au sein du réseau des bibliothèques sarthoises interrogées : le travail d’accompagnement de Sarthe lecture est largement apprécié. On nous a ainsi largement mentionné la réactivité de la bibliothèque départementale, sa disponibilité et son grand soutien, notamment auprès de bibliothécaires isolé·es ou sur les créations de bibliothèques : « dès qu’il y a un problème, ils sont là ».

Nous voulons par ailleurs souligner que nous avons été très bien accueillie·es dans toutes les bibliothèques visitées. Ca n’aurait sans doute pas été le cas si la qualité du lien entre Sarthe lecture et son réseau n’était pas aussi bonne.

Les formations numériques de Sarthe lecture

Un des objectifs du projet numérique de Sarthe lecture était de permettre à une partie du réseau de monter en compétence. Le pari est clairement réussi. Les bibliothèques du premier groupe pilote ont trouvé que les propositions de formations ont été très riches et intenses. Cela a permis à un groupe hétérogène d’acquérir un socle solide de compétences numériques.

Actuellement, les besoins de formation du réseau en matière de numérique sont très divers : les personnes interrogées ont exprimé des besoins variés, allant de la PAO « de base » au montage vidéo, en passant par le RGPD, Photoshop ou l’utilisation des réseaux sociaux. Certain·es bibliothécaires, très à l’aise avec le numérique, trouvent les formations de Sarthe lecture « trop faciles » et préfèrent s’autoformer, pour aller plus loin sur certains sujets précis. La diversité des besoins ressort également des questionnaires.

Globalement, les questionnaires remplis par les bibliothécaires confirment un avis plutôt positif sur les formations numériques proposées par Sarthe lecture, mais confirment des retours plus mitigés sur leur applications concrètes.

La formation des bénévoles au numérique

Certaines bibliothèques constituées uniquement de bénévoles ont participé au projet numérique porté par Sarthe lecture et ont ainsi des compétences numériques solides, notamment sur Mediabox. Mais globalement, les bénévoles des bibliothèques sont généralement décrit·es comme peu à l’aise avec le numérique et ayant peu d’appétence pour ce domaine. Leur formation au sein de la bibliothèque porte avant tout sur l’usage quotidien du SIGB, pour faire a minima du prêt, du retour et des recherches sur le catalogue, restant ainsi sur des missions traditionnelles des bibliothèques. « On ne peut demander une expertise aux bénévoles », nous précise ainsi un·e bibliothécaire. En outre, les bénévoles ayant des contraintes professionnelles peuvent difficilement aller en formation à Sarthe lecture, puisque cela nécessite de prendre une journée de congés.

La réception de l’état des lieux

Quand nous avons présenté cet état des lieux, nous n’avions qu’une seule appréhension : qu’il ne représente pas totalement la réalité des bibliothécaires, qui nous avaient fait confiance en nous livrant leur vécu, leur vision et leurs questionnements. Aussi, quand elles ont exprimé qu’elles s’y retrouvaient, cela nous a rassuré !

Le prochain billet que vous pouvez trouver ici nous fera sortir des frontières sarthoise et proposera une synthèse du benchmark d’initiatives numériques portées par des bibliothèques départementales.