Choisir un outil numérique, comment faire ?

publié le par Romain Revenir à la liste des articles

Dans le cadre de l’Établi Numérique (et même autrement), que ce soit en formation, lors de missions de conseil ou sur des ateliers, l’essentiel des associations auprès desquelles nous intervenons sont des petites structures, qui n’ont pas forcément un service informatique dedié. Même quand elles en ont un, ce service ne compte souvent qu’une ou deux personnes qui se concentrent donc sur la gestion des données essentielles de la structure : dossiers, facturation, …

Sauf que l’infrastructure numérique d’une association, même petite, ne se limite pas de nos jours à un serveur où sont stockés des fichiers, mais incluent tout un tas d’applications de collaborations pour travailler à distance: plateforme de visio, outil de partage en ligne de fichiers, système de chat, … C’est là que l’absence d’un vrai service SI dans des petites structures se fait sentir: on a pas forcément une infrastructure cohérente, on a plutôt de multiples outils qu’on utilise pour des tâches spécifiques. Plus encore, le choix de ces outils se fait souvent de manière informelle, sans vrai processus interne défini.

Du coup, dans les différentes interventions qu’on fait, la question du choix revient souvent: comment faire pour que les outils qu’on utilise soient vraiment choisis et non pas subis ?

Partir des besoins

Ça paraît évident mais le point de départ de toute recherche d’outil, c’est un ou des besoins. Un besoin, c’est quelque chose qu’on ne peut pas faire actuellement, ou que tout le monde dans sa structure ne peut pas faire parce que l’outil est trop compliqué, ou un logiciel qu’on veut changer parce qu’il est devenu trop cher ou inadapté, …

Il y a milles besoins et ils sont tous spécifiques à une structure ou un collectif de travail donné. Par contre, il faut que le ou les besoins soient bien cernés avant toute démarche de choix d’outils. Pourquoi c’est important que le besoin soit cerné précisément ?

Déjà, parce que choisir un nouvel outil, c’est un changement de processus de travail pour toutes les personnes qui vont l’utiliser. On s’est tou⋅te⋅s déjà retrouvé⋅e à perdre des heures à se battre avec une application qui ne nous convenait pas ou qui ne marchait pas, c’est une bonne galère. Si le choix du nouvel outil se fait à partir d’une analyse incorrecte des besoins ou pas d’analyse du tout, le risque de se retrouver avec quelque chose qui ne convient pas du tout est multiplié par 100.

Ensuite, choisir un nouvel outil, c’est prendre une décision. Or, comme pour toute prise de décision, si on a pas de base formalisée et communicable de prise de décision, on se retrouve avec une décision arbitraire (bonne ou mauvaise), difficile à argumenter, à défendre et à partager collectivement. C’est quand même plus efficace d’expliquer le choix de tel ou tel outil en renvoyant à une liste claire de besoins plutôt que de répondre “il nous a paru pas mal”.

Je ne vais pas présenter ici de méthode pour déterminer collectivement des besoins, parce qu’il n’existe pas de démarche unique qui marche à tous les coups, et des manuels complets existent sur le sujet.

Par contre, il est absolument nécessaire que les personnes qui utiliseront réellement l’outil soient impliquées dans la collecte des besoins (et tout au long de la prise de décision d’ailleurs). Impossible de se mettre à la place de quelqu’un⋅e pour évaluer ses besoins dans ou telle ou telle situation; même avec la meilleure volonté du monde, il y a toujours quelque chose qu’on loupe.

Très simplement, sur ce sujet comme sur d’autres, le plus simple est d’aller parler aux personnes concernées. Si ce n’est pas possible pour une raison ou une autre, on peut penser questionnaires ou sondages. Peu importe la méthode, ce qui est important c’est que les personnes qui vont utiliser l’outil au quotidien participent à déterminer les besoins.

L’outil parfait n’existe pas

Une fois déterminé des besoins, la prochaine étape, c’est d’accepter qu’aucun outil n’est parfait.

Le numérique nous embarque souvent dans des abstractions toujours plus lointaines. C’est donc facile d’oublier que chaque outil numérique a été produit par des personnes concrètes, avec des objectifs, des capacités et des contraintes propres. Chaque outil est le produit bien spécifique de toutes ces limites réelles et des choix qui vont derrière. C’est bien pour ça qu’il existe des multitudes de logiciels, d’applications ou de plateformes : tous font des compromis différents pour répondre à des besoins similaires, mais jamais vraiment identiques.

C’est souvent plus simple pour nous de retenir cette idée dans le monde physique : il est clair pour nous qu’un vélo qui serait à la fois léger, solide, adapté à tous les terrains, simple à utiliser et en-dessous en 300 € n’existe pas. Dans un monde du numérique où les discours commerciaux nous répètent que tout est possible sans aucune limite, les compromis de chaque outil sont plus compliqués à cerner.

À ce stade, un petit schéma peut être utile.

Triangle de choix des outils: adaptation fonctionnelle, maîtrise et prix

J’appelle ce petit schéma le “triangle de choix des outils”. Chaque outil qu’on évalue se situe à l’intérieur de ce triangle, positionné en fonction de ses qualités selon trois critères:

Évaluer un outil, c’est le positionner sur ce triangle, et donc mesurer sur quels critères on fait plus ou moins de compromis en fonction de l’outil. On peut facilement repérer différentes catégories d’outils en fonction de leur positions sur le triangle:

Bien entendu, les trois catégories que j’ai listées sont des simplifications: il existe des outils pro qui sont libres et qu’on peut donc faire évoluer comme on veut, des logiciels de geeks qui coûtent très cher et des logiciels gratuits qui sont parfaits point de vue fonctionnalités. C’est bien pour ça qu’ il est nécessaire d’analyser chaque application, logiciel ou plateforme qu’on souhaite évaluer sur les trois axes, de les positionner sur le triangle, et de voir ensuite le compromis qui nous semble le moins douloureux: dans certains cas, on peut mettre le prix ce n’est pas un problème, d’autres fois on se résigne à dépendre d’un prestataire unique même si ça présente des risques, …

Ce qui est aussi important, c’est d’avoir une méthode, même assez simple (d’où ma proposition de schéma), pour pouvoir ensuite communiquer sur les raisons du choix fait et les compromis effectués. Communiquer, c’est à la fois nécessaire pour pouvoir reviser son choix si le contexte change mais aussi pour que le choix soit compris, accepté et porté collectivement. On en revient à la question de la prise de décision évoquée plus haut.

Trouver des outils

Bon, une méthode c’est bien beau, mais avant d’appliquer la méthode en question, il faut avoir une liste d’outils parmi lesquels choisir. Quand on n’est pas expert⋅e, rien que la constitution de cette liste peut poser problème.

Un point de départ pour trouver des idées est le bouche-à-oreille: demander à nos collègues, aux bénévoles de l’association, à nos prestataires informatiques éventuels, aux structures avec lesquelles on travaille, ce qu’ils ou elles utilisent. Par choix ou par nécessité, tout le monde utilise des outils numériques au quotidien; les sources d’informations sont donc nombreuses.

Ce bouche-à-oreille est d’autant plus intéressant qu’il vient avec des retours d’expériences précis, de personnes qui vont avoir utilisé tel ou tel logiciel et constaté que telle fonctionnalité ne marche pas bien, ou au contraire que telle interface est particulièrement simple à utiliser, … Ce sont donc des retours plus précis que des simples évaluations 1 à 5 étoiles qu’on trouve sur les plateformes.

Pour râtisser plus large, il est possible de passer par Internet, par l’intermédiaire d’annuaires en ligne:

Pour les associations, le guide Résolu, conçu par trois associations (les Ceméa, Framasoft et Picasoft), propose des solutions précises avec plus d’une dizaine de fiches thématiques.

Pour finir, il existe tout un réseau d’associations de promotion du logiciel libre ou d’éducation populaire qui peuvent vous accompagner sur ce genre de questions. Outre les Ceméa qu’on a déjà cité, on peut aussi parler de la Ligue de l’Enseignement ou du réseau des Chatons, dont beaucoup d’entre eux proposent un accompagnement en plus de l’hébergement de services. Vous pouvez aussi trouver beaucoup d’associations en mesure de soutenir sur l’Agenda du Libre.

De l’importance du modèle économique

Pour finir, j’en ai déjà parlé un peu quand j’ai parlé de maitrîse de l’outil, mais un élément essentiel de choix d’un outil, c’est son modèle économique. La question a été popularisée par la petite phrase “si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit”.

Cette petite phrase n’est pas complètement exacte. Il existe énormément d’outils authentiquement grauit: des logiciels libres produits bénévolement par des développeurs un peu partout dans le monde ou des projets collaboratifs comme Wikipedia reposant sur un énorme réseau de bénévoles. Quand c’est le cas, ces projets sont transparents sur leur statut non-marchand et sur leurs sources de financement, avec souvent des appels réguliers à dons.

À l’opposé du spectre, nous avons des logiciels très explicitement commerciaux (qui peuvent être libres ou non par ailleurs), avec des tarifs affichés et des prestations commerciales facturées de manière explicite.

Entre les deux, comme le dit notre petite phrase de départ, il existe toute une zone grise de services ou de logiciels marchands qui ne sont pas très clairs sur leur financement. C’est là qu’il faut se méfier le plus.

Soit l’outil est financé à perte par des investisseurs énormes qui espérent ainsi prendre le contrôle d’un marché spécifique. En général, après une période généreuse, une fois que les investisseurs commencent à mettre la pression pour obtenir leur retour sur investissement, les restrictions d’usage se multiplient et des tarifs de plus en plus onéreux sont imposés. À ce moment-là, on se rend compte que nos données sont complètement inaccessibles en dehors de la plateforme et qu’on est coincé⋅e⋅s sauf à repartir de zéro.

Soit l’outil est financé par la publicité ciblée, qui repose sur l’exploitation de nos données personnelles. Facebook et Google sont des modèles parfaits de ce fonctionnement, et on voit de plus en plus clairement les conséquences sociales, démocratiques et environnementales de ces plateformes. Par ailleurs, quand on utilise des outils de ce type, ce sont aussi les données de nos client⋅e⋅s, usager⋅e⋅s ou bénévoles qu’on fournit à ces géants, ce qui pose des problèmes tant éthiques que légaux (notamment au titre du RGPD).

Comme j’ai pu le dire plus haut, les outils numériques nécessitent beaucoup de travail et d’infrastructure pour leur production, donc il est indispensable de se demander comment tout ça est financé avant d’adopter un outil, sous peine de s’en mordre les doigts plus tard, individuellement ou collectivement.