Ma participation à la table ronde sur les métiers de la médiation numérique de demain - Numérique en commun, Nantes, 2 mars 2022

publié le par Julie Revenir à la liste des articles

présentation de la table-ronde

J’ai eu le plaisir d’être invitée par Grégoire Barbot du Hub CONUMM et Julie Swartvagher de Nantes Métropole à participer à une table ronde autour des métiers de la médiation numérique de demain, à l’occasion de Numérique en Communs Nantes. J’étais très bien entourée des personnes suivantes :

On m’avait demandé de préparer deux prises de parole : une sur mon parcours et une sur ma vision des problématiques des métiers de la médiation numérique. J’ai trouvé l’exercice très intéressant et je souhaitais ici partager avec vous le contenu de mon intervention.

Mon parcours, de bibliothécaire à formatrice indépendante

Je suis devenue médiatrice numérique un peu par hasard. J’ai commencé ma carrière en tant que bibliothécaire en 2003 et en 2005 j’ai rejoint la bibliothèque municipale de Rezé, ville de 40000 habitants de l’agglomération nantaise où il y avait un espace public numérique où je faisais des permanences, au même titre qu’une grande partie de l’équipe. C’est vraiment là que j’ai commencé à pratiquer la médiation numérique sans même savoir ce que c’était. Par la suite, au fil de l’évolution de l’équipe et de mon poste, j’ai fait de plus en plus de médiation numérique puisque, quand j’ai quitté la médiathèque en 2019, je coordonnais la programmation des rendez-vous littéraires et numériques de la médiathèque et j’en animais ou co-animais une partie.

Entre 2005 et 2019, j’ai pu observer plusieurs évolutions :

Tout d’abord, au niveau du public qui fréquentait l’espace numérique de la bibliothèque. Quand j’ai commencé en 2005, l’espace était vraiment très utilisé, avec très régulièrement de l’attente pour avoir accès à un ordinateur. La fréquentation a peu à peu diminué, au fil du temps, tandis que les usager·es avaient d eplus en plus Internet chez elleux. Les besoins ont changé également : alors qu’en 2005, on avait quand même un public plutôt autonome, et dont les questions portaient sur le numérique (envoi de pièce jointe, utilisation de logiciel…) on a vu peu à peu, je dirais à partir de 2016-2017 apparaître des demandes d’aide qui impliquaient l’accès aux droits et qui émanaient de publics très peu à l’aise avec le numérique. Et ces demandes n’ont cessé d’augmenter.

Dans l’équipe, ensuite. Quand je suis arrivée, en 2005, il y avait une animatrice multimédia dans l’équipe, qui faisait des ateliers d’initiation et un peu de compétences disséminées en médiation numérique dans le reste de l’équipe. Peu à peu, ces dernières se sont renforcées, avec développement de profils ayant à la fois des compétences en bibliothéconomie, mais aussi en médiation numérique. Pour les développer, nous avons appris en pratiquant, en se formant entre nous ou en faisant beaucoup de veille.

Bien sûr, ces missions interrogeaient sur notre métier même. Quand on accompagnait un·e usager·e au téléchargement d’un livre numérique, c’était très facile de le lier au métier de bibliothécaire. Quand il s’agissait de l’aider à s’inscrire sur un site de rencontre ou passer une annonce sur le bon coin, ça nous posait plus de questions.

De mon côté, j’ai très vite trouvé une cohérence entre les deux métiers, bibliothécaires et médiatrice numérique, qui défendent tous deux un accès à la connaissance, au loisir et à la culture le plus partagé possible. C’est assez naturellement que j’ai commencé à promouvoir les Communs numériques. Je me suis par ailleurs peu à peu sensibilisée aux enjeux politiques du numérique, et j’ai connu une importante prise de conscience après le scandale Cambridge analytica : j’ai alors découvert qu’on pouvait faire basculer une élection en ciblant sur Facebook des personnes en fonction de leurs opinions politiques par le biais de publications sponsorisées. Ca m’a poussé à m’investir dans le champ associatif, notamment au sein de l’association Exodus Privacy qui sensibilise le grand public au pistage et à la collecte de données via les applications de téléphones portables.

Ces diverses évolutions et prises de conscience m’ont nourrie et m’ont poussée à me lancer en tant que formatrice et médiatrice numérique indépendante en 2019. C’était pour moi le moyen d’avoir les coudées plus franches sur comment je travaille, pour qui et sur quoi, tout en gardant un travail qui a du sens.

Pendant les deux ans et demi qui viennent de passer, j’ai fait de la conception et de l’animation d’ateliers, mais j’ai surtout fait de la formation professionnelle, notamment autour des questions d’inclusion numérique et d’éducation aux médias et à l’information. Je pense y avoir eu toutes les nuances des médiateur·ices numériques, de bénévoles ou professionnels peu à l’aise à des médiateurs expérimentés. Malgré la diversité des postes, des profils, des lieux d’exercice, j’ai pu relever des questions et problématiques communes, notamment sur l’accompagnement aux démarches administratives, mais avac des réponses différentes quant au périmètre d’intervention, aux compétences et à la posture.

Et le futur de la médiation numérique ?

Pour cette table ronde, j’ai tenté de me projeter dans une sorte de futur idéal de la médiation numérique, j’en ai tiré quelques axes qui me paraissaient intéressants.

Tout d’abord, il me paraît important de renouer avec les fondamentaux pour comprendre le monde qui nous entoure.

J’ai vraiment la sensation d’un glissement qui s’est cristallisé autour de la question de l’accès aux droits. Avec la réponse à cette urgence qui devient prioritaire, on s’éloigne des missions de la médiation numérique qui a pour but de s’approprier le numérique, d’en saisir les enjeux, de s’en servir si on veut, dans une perspective d’émancipation. Pourtant, les enjeux sont nombreux : j’interviens beaucoup sur les questions de genre et numérique, de la protection de l’intimité numérique, mais on pourrait citer aussi les problématiques environnementales ou l’accessibilité qui sont au moins aussi primordiales. Pour moi, les médiateur·ices numériques on vraiment un rôle important à jouer dans une forme d’appropriation collective de l’outil numérique et de ses enjeux. Si on reprend l’exemple de la numérisation des démarches administratives, souvent présentée comme un progrès nécessaire, c’est avant tout un choix politique et comme tout choix politique, il est discutable. Je crois qu’on peut porter un discours technocritique nuancé sans être réfractaire au changement ou technophobe.

Ensuite, j’avais envie de parler de l’importance d’une vision partagée et à long-terme.

Pour cela, j’avais envie de m’appuyer sur l’exemple des Conseillers numériques, ces milliers de professionnel·les recruté·es sur des missions d’inclusion numérique. Ce sont des forces vives supplémentaires avec une grande variété dans les profils, ce qui ne peut apporter que de la richesse.

J’ai cependant pu observer quelques limites à ce dispositif. Un certain nombre de structures accueillant les conseillers numériques ont surtout vu l’opportunité d’un poste financé (et c’est compréhensible !), sans avoir / prendre le temps de se poser la question de comment allait s’intégrer le poste de conseiller numérique dans la stratégie de la structure, sur quel périmètre d’action, etc. Des initiatives sont portées, notamment à l’échelle des hubs territoriaux, mais on voit bien que l’acculturation des structures et des tutelles à la médiation numérique est vraiment un travail de longue haleine.

Autre limite : les contrats de conseillers numériques sont des contrats de 2 ans, dont 4 mois de formation. Concrètement, les financements de ces contrats vont prendre fin au moment où les conseillers numériques auront pris la pleine mesure de leurs missions, auront tissé des partenariats, des liens avec les usagers, etc. On peut également parler des services civiques à qui on fait porter des missions de médiation numérique, sur des contrats précaires qui, rappelons-le, ne sont pas des contrats de travail.

On voit donc qu’il y a d’importants enjeux autour de la pérennité des postes et de la reconnaissance des compétences. Pour finir, j’aimerais dire que c’est aussi le cas pour tous·tes ces professionnel·les qui font de la médiation numérique alors que ce n’est pas leur mission principale : est-ce que ces compétences sont valorisées, reconnues et inscrites dans leur fiche de poste ?